Le 3 novembre 1950, le " MALABAR PRINCESS
", Lockheed Constellation de la compagnie Air India immatriculé
VT-CQP, effectue la liaison Bombay-
Londres via Le Caire et Genève, la prochaine escale.
C'est un vol réservé au transport
de quarante soldats de la marine Indienne qui, de retour de permission,
rejoignent leur navire, basé
à Newcastle upon Tyne en UK.
L'équipage comprend : le Commandant
de bord Alan R. SAINT 34 ans, Britannique (1745 h/v), le copilote
V.Y. KORGAOKAR (4052 h/v), le navigateur
S.ANTIA (965 h/v), le mécanicien naviguant F.GOMES (2267
h/v), le radio P.NAZIR (2263 h/v), le mécano naviguant
supplémentaire D.RANGHURAM, le steward S.GANESH et l' hôtesse
Mrs. GROSTATE.
9H 37' Le Radio-naviguant NAZIR entre en
liaison avec la tour de contrôle de Genève pour lui
communiquer sa position:
Radio-naviguant NAZIR :
"45º22'N & 5º44' E ,
Verticale Nord/Ouest de Grenoble- France"
L'aiguilleur annonce la météo:
(Q.F.A) Alps.................................Prévisions
sur les Alpes.
(Q.N.Y).........................................Couvert-Neige
.
(Q.M.I) 8/8-1000/7000...........Nimbo-stratus
de 1000 à 7000 m.
(Q.B.A) 4/6 Km...........................Visibilité
de 4 à 6 Km.
(Q.A.O) 35/5000........................Vents
de 35 noeuds à 5000 m.
(Q.F.T) Mod/Var/-30/3000. Glace et gel Variable
à -30°à 3000m.
(Q.F.T) 1500/2000-..................Isotherme
0° de 1500 m à 2000 m.
Commandant de bord Alan R. SAINT à
son copilote:
"Prévenez derrière, ça
va tabasser!"
9H 39' Radio-naviguant NAZIR :
- "Vents beaucoup plus forts que prévisions"
(Q.A.O)
-"Je répète, arrivée
à 11 h 15 au-lieu de 9 h 45"
- "environ 50 à 60 noeuds avec
rafales à 75".
Tour de Contrôle de Genève
:
L'aiguilleur:
-"Quelle est votre altitude ?"
9h 40 Radio-naviguant NAZIR :
-"14500 pieds"
Tour de Contrôle de Genève
:
- "Montez impérativement à
15500 pieds."
- "Quel est votre cap ?"
9h 41' Radio-naviguant NAZIR :
-"Pas de cap (no Q.T.I) essayons de
grimper à 15500 pieds !"
9h 43
- "Passons sur 348 pour QDM"
La tempête redouble de violence;
secoué par les turbulences, l'avion fait des embardées
invraisemblables...
Le Commandant Saint, la sueur perlant au
front, lutte avec le manche pour maintenir le cap.
Soudain, l'avion est happé par une
ascendance dynamique.
Horrifiés, les pilotes découvrent
droit devant, auréolé d'une lumière blafarde,
le sommet du Mont-Blanc qui vient de surgir des nuages...
Le Commandant Saint:
" Nom de Dieu! Montes... montes!"
Les marins sont plutôt blêmes.
Le nez de l'avion passe l'arête
de roc et de glace...
Ouf! il y a au moins trois mètres
de distance...
Un dixième de seconde plus tard,
lorsque les ailes franchissent l'arête à leur tour,
la masse d'air s'inverse en une dépression descendante;
Quelques pilotes de la région connaissent bien ce phénomène aérologique appelé "le rabattant de la Tournette"
L'avion est brutalement plaqué
sur la montagne!
L'aile droite accroche le rocher et s'arrache
dans l'explosion de ses deux moteurs droits.
La carlingue de l'avion se déchire en deux, l'arrière basculant instantanément en se fracassant dans la pente, côté Italien tandis que l'avant poursuit sa course dans un embrasement total....
Les deux moteurs gauche explosent à leur tour, propulsant dans les flammes et la fumée, un panache de neige noire....
Le cockpit sectionné au niveau de la porte avant part en tonneau dans la pente, se rétablit, poursuit en luge pour finir sa course en basculant dans une énorme crevasse qui l'engloutit!
Un drôle de silence succède au fracas, mêlé au sifflement de la tempête, au crépitement du brasier de la carlingue et des moteurs... mais on n'entend aucun cri, aucune plainte...
La neige recouvre inexorablement les traces de la tragédie, les quelques corps éparpillés sont bientôt recouverts d'un linceul immaculé...seul dépasse un bras arraché , l'index pointant le ciel...
Plus loin, peinte sur un morceau de la carlingue ayant échappé aux flammes, une drôle de danseuse Indienne exécute une danse macabre...
Tour de Contrôle de Genève
:
Allo Air India 245 m'entendez-vous?
Plus aucun contact radio avec le MALABAR
PRINCESS
Sur l'écran circulaire du radar, le petit point vert représentant le vol Air-India 245) venait de disparaître!
Pendant 2 jours, on ignore où
il a bien pu s'écraser.
Des recherches sont effectuées ,
dans toute les régions alpines par l'armée et la
gendarmerie accompagnés de volontaires:
Le bruit du crash avait été
entendu par les moines du Petit Saint Bernard ainsi que par des
ouvriers du barrage de Tignes.
Vanoise, Tarentaise, Maurienne et même une partie de la
Suisse sont passées au peigne fin.
Le 5 novembre à 15h 30, l'épave est repérée à 200 m du sommet du Mont-Blanc, par un pilote de la Swissair .
Il est difficile d'imaginer quelques survivants parmi les quarante passagers et les huit membres d'équipage.
Une caravane de secours est aussitôt mise en place par l' École Militaire de Haute Montagne et la compagnie des guides de Chamonix.
Chamonix, le 6 novembre 1950 à
12h.
Grande effervescence devant l' E.M.H.M .
Le Commandant FLOTTARD est en plein "briefing".
Journalistes et badauds se pressent aux
nouvelles.
Commandant FLOTTARD:
" La première caravane a dû
faire demi-tour, la voie est tracée jusqu'à 2500
mètres environ...nous allons envoyer la seconde cordée.
Elle sera composée du lieutenant
JAY, des guides René PAYOT et Pierre LEROUX et de huit
chasseurs alpins.
" Lieutenant, à partir de cet
instant, vous êtes le chef de cette mission."
Lieutenant JAY:
"A vos ordres mon Commandant",
puis se retournant vers les soldats:
"Chasseurs, répartissez-vous
les équipements: les câbles, les fusées, les
appareils radio, les fanions, les civières, le bois de
chauffage et la nourriture..."
Ils empruntent tout d'abord le téléphérique des Glaciers qui les amène directement à 2414m.
A 14 heures, ils attaquent l'ascension par la voie normale avec comme objectif: le refuge des Grands Mulets (3062 m) où ils doivent passer la nuit.
Au point de demi-tour de la première caravane, il doivent, pour faire la trace, brasser entre un mètre-cinquante et deux mètres de neige fraîche.
René PAYOT marche en tête
depuis un bon moment.
Pierre LEROUX :
" René, c'est mon tour de passer
en tête"
René PAYOT:
"Attend! Je dépasse ces crevasses,
je trace la moitié de la pente et tu feras le reste jusqu'au
refuge. Ça nous évitera des manoeuvres"
Pierre LEROUX:
" D'accord! Vas-y! Je t'assure.
PAYOT s'engage prudemment, en "zigzaguant" entre les deux énormes crevasses en chicane qui leur barrent la route.
Soudain, alors qu'il se retrouve en amont
de la seconde crevasse, on entend un craquement sec !
Une fissure apparaît sur la pente
50 m au-dessus de lui! Une large plaque de neige se met à
glisser de plus en plus vite.
Pierre LEROUX:
"Attention, René!"
PAYOT a juste le temps de planter violemment
son piolet, d'enrouler la corde autour, et de se cramponner énergiquement.
Il résiste un court instant mais
la force de la coulée l'arrache inexorablement, et il bascule
dans la crevasse, totalement enseveli.
LEROUX qui le retient sur sa corde est traîné
sur plusieurs mètres.
Instantanément, JAY, LEROUX, l'adjudant
MONANGE aidés du gendarme VEZIN s'arment de pelles et se
mettent à creuser frénétiquement pour tenter
d'arracher PAYOT à son linceul de glace.
Ils sont obligés de découper
des blocs de neige pour pouvoir le dégager plus aisément.
Au bout d'une heure, il atteignent enfin
PAYOT à près de 8 mètres de profondeur.
Sous lui, la crevasse se prolonge d'au moins
cinquante mètres!
Il gît inanimé sur le dos et
semble en état d' hypothermie avancée.
Pendant deux longues heures, dans la
nuit glaciale, la rage au coeur, ses compagnons tentent de le
ranimer.
Mais en vain!
Il faut bien se résigner, à
21 heure, ce 6 novembre 1950 le guide René PAYOT est mort!
La nouvelle est annoncée par radio
au P.C des secours.
L'ordre du Commandant FLOTTARD est formel:
"Trop dangereux, abandonnez !"
Le corps de PAYOT est fixé sur une civière et la caravane s'en retourne tristement, à la lueur des lampes torches!
En bas, c'est la consternation; la nouvelle s'est répandue à toute vitesse et on observe leur retour à la jumelle.
Déjà les journalistes alimentent toutes les rumeurs, on parle d'une personnalité importante, d'une cargaison de lingots d'or!
Pourtant, cette information sera rapidement démentie par les autorités: un minuscule entrefilet dans le journal local.
Une troisième caravane, partie
de St.Gervais le même jour, a fait demi-tour 300m après
le refuge du Nid d'Aigle.
Elle comprend 5 guides et un gendarme: Charles
et Marcel MARGUERON, André CHAPELLAND, Louis JACQUET, Louis
VIALLET et le Maréchal des
Logis Chef PIGNIER.
Repliés sur le Mont Lachat, c'est
là, vers 23 heures alors qu'ils mangent la soupe que le
téléphone sonne.
VIALLET va répondre.
Il revient bouleversé:
" La caravane de Chamonix a eu un accident...
PAYOT est mort!"
Ils décident néanmoins de
continuer si la météo le leur permet.
Le lendemain, 7 novembre, à l'aube,
il fait grand beau, mais un froid très vif.
Ils reprennent la direction de Tête-Rousse.
Ils mettent deux heures pour effectuer 300m
en se relayant tous les 10m.
Aussitôt averti, le Commandant FLOTTARD
est furieux.
Il confie au pilote GUIRON, la délicate
mission de lâcher par avion, des messages à destination
de l'équipe de secours.
A 11 heures trente, Guiron est prêt
à décoller, avec trois exemplaires du message à
bord.
Ce sont de longs papiers roulés,
lestés d'une pierre à laquelle est attaché
un morceau de tissus de couleur.
Le texte est précis:
"Le Préfet d'Annecy demande
que les recherches soient stoppées."
12 heures, GUIRON accompagné du Guide PIRALY Chef des secours de Saint-Gervais ont largué les messages au dessus de l'équipe.
A 12 heures 30, il aperçoivent
un des hommes qui se détache de la caravane pour se diriger
vers le message.
En fait l'homme revient, sans rien avoir
ramassé.
GUIRON atterrit au Fayet, il téléphone
immédiatement à FLOTTARD pour lui signaler que la
cordée s'approche du refuge de Tête-Rousse.
13 heures,Marcel MARGUERON qui a abandonné
revient au Mont Lachat.
15 h, il suit à la jumelle, l'arrivée
de la cordée à l'Aiguille du Goûter.
A 15 heures trente, ils ont réussis
l'impensable: l'Aiguille du Goûter par la voie d'été.
15 heures 40, GUIRON reçoit un nouvel
ordre pour tenter de les arrêter, mais impossible de faire
redécoller l'avion.
15 heures 45, Le commandant FLOTTARD revient
à la charge: il faut impérativement stopper les
recherches.
A Saint Gervais, on suit avec passion la
progression des sauveteurs que communique au fur et à mesure
au syndicat d'initiative un observateur du Mont Lachat.
Pour les montagnards locaux, ils ont franchi
la mauvaise passe!
Ils y arriveront! Ces gars sont formidables.
Ce qui semblait impossible, ils l'ont fait.
Après une marche éprouvante à travers d'immense
étendues de neige, une nuit au refuge Vallot par moins
40 degrés et des vent de plus de 130 kilomètres
heure au sommet, l'équipe des cinq de St.Gervais atteint
l'épave le 8 novembre à 10h 10.
A la faveur d'une éclaircie, ils
découvrent l'horreur.
Le Maréchal des Logis Chef PIGNIER,
manquant tourner de l'oeil, pousse un cris d'effroi.
Devant lui, un bras arraché, planté
dans la neige, la main est refermée mais l'index levé
pointant le ciel!
L'avion est coupé en deux, il a heurté
l'arête nord-ouest à la hauteur des rochers de la
Tournette; cinq mètres plus haut, ça passait.
La queue de l'appareil s'est fracassée
côté Italien, laissant un long sillon de sang: la
dernière trace des passagers.
Malgré le froid, ils se découvrent
et se signent.
Tout autour d'eux, répartis sur près
de mille mètres carrés, d'innombrables débris
calcinés, des corps déchiquetés, des fauteuils,
des bagages éventrés, du courrier, des lettres par
centaines...
Par contre, pas la moindre trace de la boîte
noire; celle-ci ne sera jamais retrouvée. Plus loin, peinte
sur un morceau de la carlingue ayant échappé aux
flammes, une drôle de danseuse Indienne exécute une
danse macabre...
De retour à St.Gervais les héros
sont fêtés dans la joie, non sans avoir été
"débrieffés" par le maire et le préfet
avant de parler à la presse.
A Chamonix c'est la tristesse et le recueillement
pour les funérailles de René PAYOT.
Sir Guranath BEWOOR (Président d'Air
India à Chamonix le 10/11/1950):
"Je ne pensais pas que dans aucun pays
au monde, des hommes vivants, puissent se sacrifier pour des hommes
morts..."
Il n'imaginait pas que seize ans après
le MALABAR
PRINCESS, le 24 Janvier 1966, le "KANGCHENJUNGA"
un Boeing 707 de la même compagnie "Air India"
allait s' écraser au même endroit!